Alain Rousseau le peintre du chromobscur

Pourquoi j’aime peindre les chevaux?

 

Cheval americain quarterhorse

Alain sur son quarter horse américain

 L’imaginaire du doux puissant 

« Allah prit une poignée de vent, raconte la légende, et en créa un cheval auquel il dit :  » J’ai attaché aux crins de ton front le succès, je t’établis roi des quadrupèdes domestiques. « 

Nos ancêtres pensaient qu’un animal aussi remarquable que le cheval ne pouvait pas être issu d’une race ordinaire. Je le pense aussi. Avec ce que le cheval évoque en moi, je ressens une affection particulière pour les chevaux. Je les ai côtoyés de prés, j’en ai élevé et j’en ai monté. J’en garde un souvenir ému et si je n’ai pas murmuré à ce moment à l’oreille de mes chevaux, je dialogue maintenant avec ceux que je crée dans ma peinture. Cela me fait revenir à l’esprit nombre d’impressions ressenties à leur contact et je les qualifierais de doux puissants. L’étymologie du mot cheval qui remonterait au sanskrit se rapporterait à une forme de mouvement perpétuel, puissant, rapide mais empreint de sagesse et d’harmonie. Cette origine me convient parfaitement et résume cet aspect dual du cheval, du yin et du yang qui cohabitent en lui.

Pégase Lizandra Paludetti

Le cheval apparait donc souvent comme un grand paradoxe, à la fois magnifié dans la mythologie ( au sein de laquelle il oscille aussi entre symbole mâle et femelle, guerrier et pacificateur, feu et eau, mort et renaissance … ) et dans les fables populaires, et également humble compagnon de labeur de l’homme depuis des siècles, asservi aux tâches les plus rudes. Cette double symbolique se retrouve dans de nombreuses mythologies (d’Asie centrale, d’Irlande, d’Europe, du vaudou Africain, Tahitien, Celte …) où le cheval est associé originellement  » aux ténèbres du monde chtonien surgi des entrailles de la terre et des abysses de la mer « .

Les chevaux, parfois des sphinx, représentent les forces inconscientes de l’homme, sa personnalité inférieure, ses instincts. En tant que soleil ou que coursier cosmique, il est également le symbole de l’intelligence: «Le cavalier royal symbolise la maîtrise totale par la puissance de l’esprit» il est doux, chaud, socialement valorisant, susceptible de porter et de transporter, non jugeant et non intrusif, et c’est un animal apte au dialogue, car il est non verbal et il s’établi alors une communication sensorielle, une complicité qui permet une ouverture sur le monde, un gain de confiance et ouvre une porte sur le bonheur.

On trouve en Amérique des hommes qui, paraît-il, murmurent à l’oreille des chevaux. En Russie, c’est l’inverse: ce sont les chevaux qui murmurent à l’oreille des hommes… Les plus grands écrivains russes (Léon Tolstoï et Alexandre Kouprine) ont rapporté les confidences de ces chevaux bavards qui nous en disent long sur leurs pensées secrètes. Je m’attache donc à établir ce dialogue, que je leur parle ou qu’ils me parlent c’est sur la toile que nous transcrivons nos conversations comme si nous étions tous les deux doués de la parole et profondément humains.

C’est de la prosopopée, l’équivalent exact de celui de la personnification en grec, néanmoins, en stylistique française, l’opposition entre les deux figures existe. Dans la prosopopée, le locuteur donne la parole au personnage fictif, qui peut même interagir avec l’émetteur ou le narrateur, alors que la personnification ne fait qu’attribuer des sentiments ou des comportements humains à des êtres inanimés ou à des abstractions.

Symbole de pouvoir, monture de guerre, objet de culte, de noblesse, de droiture et de bravoure, il a été l’infatigable auxiliaire des conquérants, l’idéal compagnon d’armes, de chasse et des jeux princiers. Paré de toutes les vertus il est l’objet parfois de superstitions.

Il semblerait que ce soit en Chine que le cheval ait été utilisé d’une manière plus conforme à ses immenses possibilités. Vers 3500 ans avant Jésus-Christ, le cheval accède presque au statut divin et l’empereur de Chine Wu Ding, mort en 1118 av. J.-C s’adresse à lui régulièrement.

Le cheval dispose de cinq sens mais certains évoquent même l’existence d’un sixième sens qui serait de prévoir le mauvais temps ou un danger. Il possède une ouïe très fine, capable d’identifier une souris dans la paille à 100 mètres ce qui lui permet de ressentir des tremblements de terre avant l’homme ou de percevoir des ultrasons. Il possède un sens développé de l’odorat grâce à des cellules olfactives très sensibles qui tapissent ses larges naseaux. L’odorat sert aussi à inspecter les objets inconnus, reconnaître les amis et ennemis. Le cheval possède donc une excellente capacité de mémorisation, et il retient tout ! (Avoir une mémoire de cheval). Il faut lui souffler dans les naseaux en s’approchant de lui. En émettant des phéromones il reçoit les éléments de votre carte d’identité et ainsi il vous reconnaîtra. Attention si vous l’avez brutalisé ou frappé il se souviendra de vous-même très longtemps après. Ne passez pas alors à portée de fers car il se vengera d’une bonne ruade.

Roublard, méfiance Copyright  Alain Rousseau  « Tire au renard »  40 x 50 cm  huile sur toile  -2012

Il lui manque cependant un langage symbolique comme le nôtre qui lui permettrait de nommer les émotions et de les catégoriser selon des conventions prédéterminées et c’est en ce sens que je veux leur donner la parole et transcrire leurs émotions et leurs sentiments sous forme picturale.

J’emprunte à Antoine de Saint-Exupéry avec « Le Petit Prince », les mots qu’il met dans la bouche du renard pour les appliquer aux relations avec les chevaux: « Ma vie est monotone. […] Je m’ennuie donc un peu. Mais, si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée. Si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serais pour toi unique au monde… S’il te plaît… apprivoise-moi! […] Si tu veux un ami, apprivoise-moi. […] Je découvrirai le prix du bonheur. »

Copyright  Alain Rousseau « Buveur de rosée »  100 x 100 cm  huile sur toile – 2014

Il est à noter aussi que le vocabulaire utilisé pour caractériser les chevaux n’a rien à voir avec celui utilisé pour les autres animaux. On utilise en effet un langage identique à celui des humains pour le décrire. On parle de bouche et non de gueule, de nez et non de groin, de jambes et non de pattes, de bras et d’avant-bras, de robe pour désigner la couleur de son pelage. Pas étonnant qu’on le qualifie de plus belle conquête de l’homme.

C’est donc cette douce puissance que je retranscris dans mes tableaux avec l’espoir secret de faire passer par ma peinture des attitudes comme pour mes coqs et mes fumeuses, si proches des hommes et de leurs mimiques.